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Le blog du cinéma, de tous les cinémas

A chacun son dû (Elio Petri, 1967)

Publié le 12 Mai 2014 par Curzio M in Critiques

(A ciascuno il suo)

Film italien d'Elio Petri (1967), avec Gian Maria Volontè, Irene Papas et Gabriele Ferzetti.

Vu le 12 mai 2014 (France 3, Cinéma de Minuit).

Comme à son habitude, le Cinéma de Minuit, sous l'autorité de Patrick Brion, nous a proposé une rareté. Parmi l'extraordinaire vivier du cinéma italien des années 50-70, il s'agissait cette fois d'un film d'Elio Petri, réalisateur à la fois assez reconnu (notamment pour le mémorable Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, dont la musique, signée Ennio Morricone, est presque plus célèbre que le film lui-même), et plutôt méconnu, par rapport aux grands noms fréquemment cités: Visconti, Fellini, Antonioni, Scola, Bertolucci...

Elio Petri fait ici le choix d'adapter l'un des plus grands écrivains italiens du XXème siècle, Leonardo Sciascia, sorte de Voltaire de la péninsule. Il récidivera, neuf ans plus tard, avec Todo Modo. Le pari, déjà, semble difficile: Sciascia n'est pas d'une lecture toujours aisée, son écriture est volontiers abstraite, et le récit est chez lui le plus souvent concentré, presque ascétique. Reste le côté "énigme" de l'ensemble: Sciascia aime utiliser les codes du roman policier, même si c'est pour les détourner.

Petri avait donc la possibilité de faire un film policier, et on ne peut pas dire qu'A chacun son dû néglige le suspense, les pistes égrenées pour mieux tromper le spectateur, les indices et les alibis en tous genres. Le point de départ: un double meurtre en Sicile, dont le mobile échappe complètement (les deux victimes ne semblaient avoir aucun intérêt en commun, si ce n'est la chasse!) Très vite, pourtant, la justice pense avoir affaire à une vengeance: un adultère en serait la cause. Comme dans un autre livre de Sciascia (Le Jour de la chouette), un crime passionnel est dénoncé alors qu'en réalité se cachent derrière des enjeux politiques. Il reviendra au professeur Laurana, interprété par Gian Maria Volontè, de chercher où se trouve la vérité. Autour de lui s'entrecroisent différents personnages, présentés à la file lors de la scène de l'enterrement: veuves, maîtresses, notables, commissaires, parents plus moins éloignés, tous tueurs potentiels.

Il y a donc bien intrigue policière, et ce jusqu'au dénouement. Petri fait d'ailleurs preuve d'un certain brio qui maintient jusqu'au bout le doute sur l'identité du (ou des) coupable(s), en jouant sur un nombre raisonnable de rebondissements, et en maintenant l'opacité des personnages (mentionnons le jeu obscur d'Irene Papas, veuve pas tout à fait joyeuse mais point éplorée non plus, en tout cas pas autant qu'on s'y attendrait).

C'est pourtant derrière cette intrigue qu'il semble falloir creuser. Petri ne gomme aucun des enjeux philosophiques qui se cachent derrière les personnages, il les accentue même, à tel point qu'on pourrait presque lui reprocher d'être caricatural. Le professeur Laurana, intellectuel, érudit, militant communiste en proie aux doutes mais également au désir d'engagement, face à l'avocat Rosello, notable corrompu et dissimulateur; plus convenus, un tueur glacial et impassible, une jeune maîtresse idiote, des curieux, des lâches... Petri aurait-il voulu rendre à chaque personnage "son dû" (étant en cela conforme au titre de son film), et uniquement cela? Même dans ce cas, il semble bien impitoyable, Laurana restant le seul qui trouve grâce à ses yeux.

La clé de la réussite du film réside néanmoins là, dans cette grande toile d'araignée où se débat le malheureux professeur, cerné d'adversaires ou de faibles qui ne peuvent lui prêter assistance. On pense à un autre film, toujours adapté de Sciascia: Cadavres exquis, de Francesco Rosi, avec Lino Ventura en pauvre inspecteur écrasé par un système dont il a voulu dénoncer les compromissions. L'efficacité de ce type de film, mélange de policier, de satire politique, de film à thèse et de drame, tient en grande partie à cette idée que certains enjeux s'imposent et ne souffrent aucune remise en question: c'était le cas dans Z, de Costa-Gavras, où le manichéisme (puissants indestructibles face aux justiciers voués à l'échec) était sans doute nécessaire pour accroître la force du propos. Même si le film de Petri manque de l'énergie propre parfois à de tels films, on ne saurait trop lui reprocher les caractères qu'il met en scène, ni la structure de l'ensemble, conçue comme un piège dont les mâchoires largement ouvertes se referment peu à peu.

Petri n'est pas un visionnaire comme Fritz Lang, et il n'a pas la puissance de vision d'un Fassbinder, ni même d'un Rosi (dans certaines de ses œuvres). A chacun son dû en est la démonstration. Je trouve, dans sa filmographie, certains films plus aboutis, comme L'Assassin, ou Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (beaucoup plus dense). La photographie du film a souffert des années, semble-t-il, et, même si je ne suis pas un intégriste de la restauration, je ne peux m'empêcher de me demander si, tout simplement, une plus grande netteté ne m'aurait pas permis de mieux l'apprécier. Je n'oublie pas non plus que les défauts de ces pellicules font aussi, parfois, le charme des films de ces années... L'intrigue est suffisamment réduite, comme chez Sciascia, pour ne pas trop nous égarer, et en même temps elle fourmille de clés vraies ou fausses, de suppositions, de mystères... Assez pour que ce fût un moment agréable. A chacun son dû n'a donc rien d'un chef-d'oeuvre, ni même d'une œuvre majeure dans le cinéma italien; mais c'est un exemple probant de film maîtrisé de bout en bout, et une belle démonstration sociale et politique. Rien que pour cela, hommage soit rendu à Elio Petri, auteur exigeant trop tôt disparu (à l'âge de 53 ans).

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F
Mi piace questo commento. Si denota una forte volontà e ricerca di dire il giusto, il vero. Continua!
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